Un Noël simple et joyeux
Un Noël simple et joyeux
L’émotion palpable de Brigitte au téléphone.
Mon Noël 2007 a commencé ainsi. Je confirmais alors à ma mère du village de Bingongog que j’arrivais le lendemain pour fêter Noël avec eux. Une grande émotion accompagnée par une seule phrase : « Maintenant, je comprends combien tu nous aimes. » Puis « Nous allons très bien t’accueillir Audrey ».
Pourquoi avoir choisi de passer le 24 et le 25 dans un des villages dans lequel je travaille ? Pour partager la joie de Noël en toute simplicité dans un univers culturellement très éloigné du mien. Pour découvrir une façon de célébrer la naissance du Christ tout en apportant de la joie à des gens qui n’ont que très peu.
Finalement, au fond, ce n’est pas si différent de chez nous. La fête comporte deux temps forts : la messe de Noël et le repas de Noël. Tout cela implique une grande préparation : un mois avant, voire plus, chacun s’apprête : il s’agit de trouver l’argent pour la fête, et précisément pour le repas et la boisson du 25. Cotisations dans les tontines, mise à part d’une partie de l’argent issu de la vente du cacao, vente de bâtons de manioc etc. Tout est bon pour trouver des CFA (même le vol pour certains individus, à Yaoundé notamment… Eh oui, malheureusement, il y a une recrudescence de l’insécurité en ville au mois de décembre de chaque année…).
Le 24 décembre, chaque foyer est en plein préparatif, ou plutôt chaque femme de chaque foyer. Toute la journée est consacrée au marché et à la confection de la nourriture pour le 25. Sauces diverses accompagnées de leurs compléments. L’idée de base reste la même que d’habitude mais le tout est amélioré. La sauce ne comprendra pas seulement des arachides ou des feuilles pilées mais sera ce qu’on appelle « bien chargée » : morceaux de poulet, de poissons, de porcs pour les plus chanceux. Le complément sera composé comme d’habitude de plantain, d’igname, de macabo, de manioc, voire de riz pour ceux qui ont eu les moyens d’en acheter. On trouvera parfois autre chose, comme le met de pistache, en fonction des goûts du mari. Au niveau de la boisson, un effort particulier est fait : les gens achètent du vin (en brique… Nous sommes donc à des années lumières d’un bon bordeaux…), de la bière et des « jus » (sodas) Plus on a d’argent, plus les boissons sont diverses. Le 25 décembre, on trouve une brique de vin rouge dans de nombreux foyers : c’est la marque que cette fête est une grande occasion. (Le « vinosol » est en effet une des boissons les plus chères : 850FCFA le litre, alors que la bière ou le jus coûte environ 500FCFA les 75cl.)
Certaines personnes, notamment les jeunes, vont faire la fête toute la nuit du 24. Dans ce cas, les fêtards se retrouvent dans un bar, là où ils vont trouver « l’ambiance », c’est-à-dire la musique et surtout l’alcool. Il n’est pas rare de trouver, le 25 au matin, des gens encore soûls…
La messe est célébrée le 24 à minuit ou le 25 au matin. A Bingongog, la majorité des gens ont célébré le 25. Ce matin-là, les femmes se sont levées très tôt afin de tout apprêter avant de partir à la messe (pour le repas qui sera pris au retour) puis de se pomponner. Elles mettent leurs plus belles tenues et leurs plus beaux bijoux. Elles se sont fait tressées la veille ou s’enduisent les cheveux d’une huile parfumée. Elles portent leurs plus belles chaussures (à talon, même s’il va falloir marcher 40minutes en brousse pour aller à la messe, en grimpant plusieurs collines…). Le tout est parfois agrémenté d’un sac à main, d’un chapeau ou d’un foulard couvrant la tête. Les hommes revêtent également leurs plus beaux vêtements : belle chemise, chaussures soignées, voire cravate et veste pour certains. Chacun a pris le soin de repasser ses vêtements (j’ai moi-même repassé ma robe sous l’impulsion de Brigitte, avec son fer à charbon).
Aller à la messe est déjà une fête en soi. Pour cela, on traverse à pieds et en joie tout le village, en s’arrêtant pour saluer les gens, en bavardant entre nous. Pour se rendre à l’église de Nkeng-Likok, c’était un vrai sport, avec toutes les collines à grimper ! Le long du chemin, on voit quelques « cabanes » dans les jardins de certaines maisons. Ces abris sont constitués de tiges de bambou ornées de branches de palme. Ces abris sont confectionnés pour les mariages, les deuils, les communions… Il n’est pas rare que les gens profitent de la période de Noël pour célébrer leur mariage ou la communion de leurs enfants. Cela permet de réduire les coûts puisqu’une seule fête sera célébrée pour tous les événements. A Bingongog, plusieurs communions ont été célébrées le 25 décembre : j’ai compté au moins 6 communiants à la messe. J’étais impressionnée de voir le soin apporté à leurs tenues : ils étaient habillés comme chez nous en France. Les petites filles avaient des robes blanches de petites princesses, avec des scandales blanches et des chaussettes blanches à collerettes fleuries ou brodées, des jolies coiffures ornées de perles. Les petits garçons portaient un costume et de jolies chaussures. Qu’ils étaient chics tous ces enfants ! J’avoue que je ne pensais pas voir ça au village.
En fait, les Africains, ils savent faire la fête ! Quand il s’agit de fêter quelque chose, ils mettent « le paquet ». On casse alors les tontines, on se ruine, mais au moins, on mange bien, on boit beaucoup, on danse toute la nuit, on rit a gorge déployée et on oubli complètement les soucis du quotidien. Souvent, on préfère attendre plusieurs années avant de célébrer un événement, pour avoir le temps de cotiser, d’épargner de l’argent. C’est pour cela qu’il est fréquent qu’on célèbre un mariage à l’Eglise après 10 ans de vie commune et de 5 enfants, un deuil 6 ans après que la personne soit décédée, un baptême alors que l’enfant a 12 ans (et en même temps son frère de 15 ans fera sa première communion…).
La messe à laquelle on m’a emmenée était en Bassa, le patois local. Mais le chef du village m’ayant prêté son missel, j’ai pu suivre. La messe était très belle, animée, joyeuse, rythmée par les chants Bassa. A la fin, le prêtre, manifestement très content de me voir, m’a invitée avec Brigitte chez lui prendre un verre. Puis nous sommes rentrées à Bingongog.
En route, alors qu’on marchait sous le soleil tapant, une surprise nous attendait : Isaac en voiture ! Isaac est un « pisciculteur » (il ne bosse pas trop et son étang n’avance que très doucement mais bon…) : sa femme avait accouché dans la nuit et il avait loué une voiture pour la ramener de l’hôpital à la maison, avec le bébé. Quelle joie dans la voiture ! Sa femme Odile nous attendait avec l’enfant debout, au détour d’un sentier. Et hop, voila le bébé en brousse, secoué dans tous les sens, aux sons des rires, des causeries fortes et de la musique ! Isaac était très fier de pouvoir offrir à sa femme un retour au village en voiture climatisée : d’habitude c’est en moto, accouchement dans la nuit ou pas…
A notre arrivée, c’était la fête. La grand-mère poussait des cris de joie, tout le monde était en liesse. Isaac était très honoré de ma présence. Il m’a servi du poisson, du porc, du riz et j’ai du trouver mille stratégies pour éviter de boire du « vinosol » ou de la bière chaude, et pour ne pas manger 3 fois d’affilée… L’après-midi s’est ensuite déroulée en toute simplicité : j’allais chez les gens que je connaissais (mes « relations » comme on dit ici), on bavardait, ils me servaient leur repas de Noël, je leur offrais des petites choses qui leur faisaient un immense plaisir : des étoiles de Noël, des savons, des habits ou jouets pour enfants, des foulards, du riz, des cuisses de poulet, quelques briques de vinosol… les gens étaient vraiment très réjouis de ma présence et de pouvoir partager avec moi la fête. Et moi, j’étais heureuse de partager ces quelques joies simples.
Le soir je suis rentrée à Yaoundé ma caisse remplie de vivres et mon cœur plein des sourires que j’avais reçus.